Les Aiguilles de Port-Coton à Belle-Île en Mer : le trésor de Claude Monet
Gravures rupestres d’Alta–des rennes de l’âge de pierre gravés le long des fjords
Storforsen – les plus grandes cataractes naturelles d’Europe traversent la Laponie
Cathédrale Luthérienne d’Helsinki – une icône allemande sur l’ancienne terre des tsars
Norske Opera – le renouveau de la banlieue d’Oslo en lignes obliques
Le Monastère d’Horezu, chef-d’œuvre de l’art Branconvan en Valachie
Le château de Dracula au cœur des Carpates : la citadelle de Poenari
Falaises de Moher – quand l’Irlande plonge de 214 mètres dans l’Atlantique
Château de Balmoral – la résidence écossaise de la Reine Victoria et du Prince Albert
Panthéon de Rome – le plus grand dôme de l’Antiquité, tombeau des grands Hommes
Bastion des Pêcheurs – un rempart « moderne » sur les hauteurs de Budapest
Statue de la Liberté de l’île des cygnes à Paris – une maquette signée Bartholdi
Bryggen – les demeures en bois colorées de la Ligue Hanséatique à Bergen
La Pointe du Raz – une proue de granite à l’extrême ouest de la France
Arènes de Lutèce : un amphithéâtre gallo-romain au cœur de la capitale
Chinagora – un complexe touristique sous forme de Cité Interdite fantôme à deux pas de Paris
De la Bavière à la Provence : des santons à la basilique de Fourvière pour sa crèche de Noël géante
Marché Médiéval de Noël à Provins – Rois Mages et troubadours animent banquet et bal d’époque
Bodies – The Exhibition expose l’intérieur du corps humain
Posté le Mardi 25 novembre 2008dans Evènements, Muséespar Alexandre RosaImprimerC’est à Copenhague que j’ai eu l’occasion de visiter l’exposition BODIES, produite par Premier Exhibitions, une compagnie américaine basée à Atlanta. Dans un ancien château faisant office d’espace d’expositions adjacent aux Tivoli Gardens, les visiteurs entrent dans un autre monde : le monde intérieur. Bodies nous invite en effet à partir à la rencontre de nous-mêmes, de l’infiniment complexe au plus petit détail de ce qui fait que nous sommes avant tout d’incroyables machines de précision.
Après avoir monté quelques marches jusqu’au premier étage où la dizaine de pièces de l’exposition nous attend, nous y voilà. Les murs sont décorés de projections géantes et abstraites représentant l’infiniment petit du fonctionnement d’une cellule vivante du corps humain. L’éclairage est soigné. Les explications s’alignent sur les murs refaits selon un design résolument moderne, et déjà les premières vitrines nous abreuvent d’informations.
Derrière la vitre, on trouve ce que certains considèrent comme des oeuvres d’art. Du plastique, mais pas seulement. Des mises en scène et des visages à expression humaine. Mais il n’y a là rien d’habituel, puisque ces oeuvres ici exposées sont humaines. Ces corps, ces cadavres, ici désignés sous le nom de "specimens", sont exposés à titre éducationnel. Le premier corps me regarde m’approcher. Autour de lui, des dizaines de personnes s’affairent déjà, le scrutant dans les moindres détails. Qui est-il? Aucune idée. D’où vient-il? Personne ne le sait. Cet homme mystère est pourtant là, plus nu qu’aucune des autres personnes de la pièce ne le sera jamais. Privé de sa peau, il présente à l’air libre ses muscles, ses os et ses organes internes, durcis et protégés de la putréfaction par la technique de plastination.
Ce processus, inventé dans les années 70 par le docteur allemand Gunther von Hagens, consiste à transformer les tissus du corps humain en une sorte de gomme plastique à l’aide d’un polymère. Sans entrer dans les détails, il faut savoir que l’essence de cette technique consiste à remplacer toute l’eau et la graisse du corps par de l’acétone dans un premier temps, puis par un polymère. C’est ce dernier qui, en durcissant, se transforme en plastique plus ou moins souple. Le résultat final est obtenu à partir de gomme de silicone, de polyester ou de résine d’époxy.
Il en résulte un corps humain qui, selon la manière dont il aura été disséqué auparavant, sera figé dans une position imposée par le plastinateur, avec diverses parties de son corps visibles ou non. Depuis la mise au point de la plastination, cette technique a été une source de discussion, à la frontière de la science, de l’art et de l’éthique. Le Dr Von Hagens, après avoir réussi à brevetter son invention aux Etats-Unis, a tout de suite formé l’Institut de Plastination à Heidelberg en 1993. La première exposition de cadavres plastinés a eu lieu au Japon, à Tokyo, en 1995. Elle attira 3 millions de personnes malgré la polémique.
Il n’en fallait pas moins pour convaincre Von Hagens de faire voyager son exposition, baptisée "Body Worlds". Diverses incarnations de ce cirque moderne ouvrirent ainsi leurs portes à Londres, Vancouver ou Los Angeles entre autres. Selon le site officiel du docteur Von Hagen, plus de 20 millions de personnes auraient passé les portes de ses diverses expositions. De quoi attiser la convoitise d’investisseurs prêts à mettre la main à la poche pour obtenir les spécimens les mieux réalisés, les plus originaux ou les plus ressemblant à des vivants… pour des morts!
Il y a ainsi eu "Mysteries of the Human Body" et "Body Exploration." "The Amazing Human Body" a fait le tour de l’Australie et, l’année dernière, une exposition appelée "The Universe Within" a défrayé la chronique à San Fransisco suite à des fuites de liquide suspect à la surface des specimens exposés. De la graisse humaine, très probablement, selon les experts, le processus de plastination ayant été réalisé trop rapidement pour permettre aux lipides de quitter le corps entièrement avant l’injection de polymère dans les tissus.
Rien à voir avec Premier Exhibitions qui produit BODIES, l’exposition qui nous intéresse ici. Elle s’est rapidement imposée comme concurrent important de Von Hagens. "Le but de notre exposition est l’éducation", affirme le docteur Roy Glover, directeur médical en chef de l’exposition. "Nous voulons que les gens observent la complexité de leur corps. Nous pensons qu’ils ont besoin de le voir pour comprendre. Nos corps sont notre possession la plus chère", explique t-il, ajoutant que, malheureusement, on n’en prend souvent moins bien soin que de nos voitures.
Et force est de constater que les moyens y sont. L’atmosphère lumineuse est spécialement étudiée pour mettre en valeur les specimens présentés. L’ambiance est sombre et respectueuse, silencieuse. Des teintes de lumière chaudes éclairent les corps et les organes en vitrine comme des toiles de maître ou des artefacts exhumés des sables de contrées lointaines. A la place, des corps sans vie présentent dans chacune des salles une nouvelle dimension de notre corps. Ils sont mis en scène dans des positions de la vie courante, courant, frappant dans un ballon ou bandant la corde d’un arc.
Après la salle sur le squelette et le système osseux qui introduit l’exposition, la salle sur le système musculaire présente plusieurs corps écorchés, leurs muscles saillants, gonflés et visibles aux yeux de tous. Dans la salle suivante, un specimen semble avoir des ailes. Tous les muscles de son corps ont en fait été détachés de leur point d’ancrage et écartés du corps, ce qui donne aux muscles de son dos des allures d’oiseau. Effrayant.
Dans la salle sur le système nerveux, des specimens sans peau sont parcourus d’une myriade de nerfs en réseau, comme un patchwork de rouge, de bleu et de beige. Assis comme la célèbre statue de Rodin, "le Penseur", il a le sommet de son crâne découpé et la cervelle à l’air. Dans sa main, il tient un autre cerveau qu’il observe avec curiosité.
Dans la salle sur le système sanguin, un corps tout entier est réduit à son réseau de veines et d’artères. Un labyrinthe intriguant de tuyaux minuscules enchevêtrés qui laisse perplexe devant tant de précision et de complexité. Dans les vitrines, des organes seuls sont présentés. Les plus impressionnants sont sans conteste les reins qui, une fois tous les tissus enlevés pour que ne reste que le réseau sanguin, ressemble à un arbre aux ramifications infinies qui occupe presque tout l’espace de l’ancien organe. On se demande comment un tel specimen peut résister aux déplacements et au nettoyage tellement il semble fragile.
En plus des corps entiers présentés en dehors des vitrines, au plus près du public, avec une simple mention "Ne pas toucher", des organes plus nombreux sont exposés en détails derrière des vitres. Dans l’une d’elles, une tête coupée en deux montre le cerveau, les diverses glandes du crâne, le pharynx et les muscles de la mastication. Dans une autre vitrine, un sein en bonne santé trône aux côtés d’un sein rongé par le cancer. Le long d’un mur serpente le tuyau digestif complet d’un des spécimen, tout entier de la bouche à l’anus.
"Je pense que le public est sous-éduqué dès qu’il s’agit de leur propre corps", raconte le docteur Glover de Premier Exhibitions. "Cette exposition va permettre aux gens de contrôler mieux leur corps en le comprenant mieux, et les encourager à vivre une vie plus saine."
L’historien Michael Sappol, de son côté, pense que "le public a une grande soif d’expérience liée à la mort, et veut voir la mort. On veut la tester, mais bien sûr sans mourir. C’est transgressif mais sans danger". Toutefois, derrière le discours bien pensant et éducatif des organisateurs de ces expositions se cache une vérité bien plus morbide…
Dès la première incarnation de BODIES, the Exhibition à Tampa en Floride, en 2005, l’exposition se voulait à la fois évènementielle et provocatrice. Il fallait s’attendre qu’avec de telles "oeuvres" présentées au regard de tout un chacun, la controverse ferait rage. On remarque aisément en se promenant dans les diverses salles de l’exposition que les specimens qui ont la "chance" d’être entiers ont un aspect asiatique. De par leur petite taille, leur aspect très mince et la forme de leur visage, on devine leur provenance. Par ailleurs, afin de leur donner un aspect plus humain, certains écorchés ont toujours leurs sourcils, leurs lèvres ou leur nez. Ils ont été recollés sur leur visage disséqué, et on distingue bel et bien des yeux bridés.
Ma curiosité a également été éveillée par le fait qu’il y ait beaucoup plus d’hommes que de femmes parmi ces specimens. Qu’il y ait des asiatiques parmi les corps n’est pas étonnant en soi, mais que tous les corps viennent d’Asie, et probablement du même endroit, a tout de même de quoi surprendre. La question posée aux responsables de l’exposition danoise ne m’en apprendra pas plus. Eux ne sont qu’un maillon de la chaîne, pas les organisateurs. Après tout, c’est bien l’américain d’Atlanta, Premier Exhibitions, qui fait voyager son exposition à travers le monde. Face à tant de flou, j’ai donc décidé de mener ma petite enquête afin de savoir à qui j’avais vraiment affaire…
Du côté de chez Premier Exhibitions, on ne s’étale pas sur le sujet. Tout juste pourrais-je apprendre que les corps proviennent de Chine. Encore plus inquiétant, quand on connaît l’implication des chinois dans la vie religieuse. Selon leurs croyances, le corps doit en effet absolument être protégé et conservé sans dommages pour que l’âme du défunt repose en paix. Aucun chinois croyant n’autoriserait quiconque à exposer son corps mutilé ainsi. Par ailleurs, la Chine est connue pour ses violations des Droits de l’Homme. De quoi penser que, après tout, les personnes ayant donné leur corps pour cette exposition ne l’auraient peut-être pas fait de manière consentie.
Je découvrirai finalement que les corps de BODIES proviennent tous d’une école de médecine chinoise basée dans la ville de Dalian. Premier finira par m’avouer qu’il s’agit là de corps non réclamés ou non identifiés. La législation chinoise veut en effet que ces défunts anonymes soient utilisés à des fins de recherche médicale au sein d’universités de médecine. Il en est de même dans de nombreux états des Etats-Unis, me dit-on. Certes, on peut trouver normal et acceptable qu’une personne consente à donner son corps à la science, mais cela signifie t-il qu’on peut exposer ainsi son corps mis à nu à la vue de tous sans qu’elle aie eu l’opportunité de donner son approbation?
Impossible d’en savoir plus des producteurs de Bodies. La piste suivante nous mène donc en direction de la Dalian Medical University, en Chine. Là-bas, un laboratoire de plastination partenaire de Von Hagens a affectivement réalisé les specimens exposés à Copenhague notamment. Le Dr. Sui Hongjin explique que Premier ne possède pas les corps exposés mais que l’entreprise les loue à son université. Je découvrirai plus tard qu’ils ont en effet payé la modique somme de 25 millions de dollars pour pouvoir les utiliser au sein de multiples expositions sur une période de 5 ans. Fin en 2010 au plus tard, donc…
En fait, quand on y regarde de plus près, on s’aperçoit que Dalian est la capitale du trafic d’organes en Chine. La fameuse Dalian Medical University a même été baignée dans plusieurs affaires criminelles relatives à la revente d’organes volés sur les cadavres de condamnés à mort. L’enquête prend alors une toute autre tournure. Même s’il n’y a aucune preuve de quoi que ce soit, on se rend vite compte qu’il n’y en aura jamais et que chacun aura toujours son avis sur la provenance de ces cadavres. Pour autant, la probabilité est énorme pour qu’ils proviennent d’un des trois camps de travail installés en périphérie de Dalian. Ce n’est pas pour rien que la ville est devenue l’une des plus grosses d’usines de "retraitement des corps" en Chine.
Du côté de Premier Exhibitions, on admet que les specimens ont été disséqués et plastinés en Chine par le docteur Hongjin. Officiellement, c’est parce qu’il prépare les corps comme personne et que la qualité de ses mises en scène dépasse de loin toutes les autres. En réalité, c’est plutôt en raison des coûts réduits de la main d’oeuvre chinoise. Chaque corps demande en effet plus de 1000 heures de travail.
Le gouvernement chinois n’est pourtant pas un exemple de clarté en ce qui concerne la traçabilité et la confiance que l’on peut accorder aux documents soit-disant officiels. C’est avéré. Dans ces conditions, d’éventuelles justifications sur l’origine des corps ne prouveraient même rien. En revanche, ce que l’on sait, c’est qu’entre 1000 et 3000 personnes ont été exécutées entre 1995 et 2000 dans cette même région. Des opposants au régime, des activistes du Falun Gong : des prisonniers politiques. Les témoignages abondent, relatant l’histoire d’ennemis du régime communistes ayant été arrêtés, cueillis sur leur lieu de travail, dans leur voiture ou même chez eux. Emmenés au poste de police sans plus de procès, ils y ont été interrogés sous la torture. Nombreux sont ceux qui en sont morts.
Qu’ils ait été torturés, condamnés aux travaux forcés jusqu’à l’épuisement fatal, ou tués (certains corps ont été retrouvés, une balle logée dans le crâne ou des traces d’étranglement autour du cou), la suite est toujours la même. Au lieu d’aller chercher la famille et les proches du défunt, le gouvernement interdit à ces derniers de voir le corps en prétendant la nécessité d’effectuer une autopsie de toute urgence. Suite à cette dernière, les corps sont souvent envoyés au crématoire sans attendre, certainement afin d’effacer toute preuve d’une moisson d’organes destinés à alimenter le trafic. D’autres familles ont pu voir le corps de la victime après "l’autopsie". Elle était méconnaissable le plus souvent, à tel point que des tests ADN ont parfois été nécessaires pour identifier le corps à coup sûr. La plupart des familles suspectent bien sûr les autorités d’avoir volé les organes de leur proche avant de le leur présenter.
Si des organes disparaîssent, des corps également. Comment être sûrs que ces corps annoncés comme incinérés ne sont pas en fait ceux qui ont été "déclarés comme non réclamés" et offerts à l’université de médecine de la ville pour plastination et location à des organisateurs d’expositions dans le monde entier? La question reste ouverte, mais l’immense probabilité qu’un scénario cauchemardesque soit réelle reste vraie.
Une chose est sûre cependant, c’est que la polémique n’a pas ralentit la vente de tickets. Chaque arrêt de l’exposition dans le monde rapporte près de 2 millions de dollars à Premier Exhibitions. Un investissement dores et déjà rentabilisé donc, et c’est bien ce qui inquiète. Car dans la mesure où Premier n’est pas une association à but non lucratif mais bel et bien une entreprise cherchant à s’enrichir, on peut difficilement croire à l’objectif avoué d’éduquer le public.
Pourtant, aussi choquant que cela puisse paraître, ces corps n’ayant certainement pas approuvé d’être là de leur vivant apportent tout de même quelque chose aux visiteurs de ces expositions. On dira ce que l’on veut mais rencontrer le corps humain dans sa vérité la plus intime et intérieure est toute de même une expérience immanquable. J’ai eu la chance de pouvoir saisir deux specimens, un pied et un cerveau, et eu la surprise de constater que l’on n’était vraiment pas au musée de cire. Là où une statue est dure et cassante, ces specimens sont plutôt comme de la gomme, en particulier le specimen de cervelle. Les nerfs et vaisseaux sanguins externes au corps du specimen sont absolument souples comme autant de câbles plastifiés, ce qui explique la relativement faible fragilité des specimens, et le fait qu’ils soient exposés au plus près du public.
Sans vouloir encourager des pratiques éventuellement douteuses, je vous encourage donc malgré tout à vous rendre dans cette exposition qui passera forcément un jour près de chez vous. Voir un dessin dans un livre est une chose, mais connaître un vrai corps humain de l’intérieur en est une autre. Tant pis si tout ceci n’est peut-être finalement qu’un freak show moderne…
Sources et références :
- Radio.cz – "Une expo qui crée la polémique à Prague"
- San Fransisco Chronicle – "Oozing corpses raising eyebrows"
- Wikipedia article
- SeattlePi.com – "Education or freak show? Bodies… the exhibition cashes in on our own curiosity"
- No Bodies 4 Profits
- Association for Asian Research – "Illegal organ business boom"
- The Epoch Times – "Corpses in US human body exhibition comes from Dalian, China"
D’autres musées au Danemark :